POPENGUINE : UNE COHÉSION RELIGIEUSE NOUÉE PAR LES LIENS DU SANG

Lorsqu’on parle de Popenguine, on pense automatiquement au pèlerinage marial qui s’y déroule, chaque année, lors de la Pentecôte. Cet événement religieux et cette localité ont fini de se confondre. Mais loin d’être un sanctuaire catholique, Popenguine se révèle, en réalité, une chapelle où musulmans et chrétiens vivent leur différence dans une symbiose rare. Pour comprendre ce modèle achevé de cohabitation religieuse, il faut interroger l’histoire qui repose sur des dynamiques familiales.    

On l’aurait appelé « Pays du matin calme » (l’autre nom de la Corée du Sud) qu’il ne s’agirait pas de l’usurpation. Comme ce pays asiatique, Popenguine coche toutes les cases pour mériter ce statut. Sans forcer le trait. Beauté naturelle, relief accidenté entre monts et ravins, nature généreuse en cette saison des pluies, plage de sable fin du côté de la Réserve naturelle avec les falaises du Cap de Naze qui se dessinent en arrière-plan, dressées comme une vigie. Un calme de cathédrale qui jure d’avec le bourdonnement qui s’empare de la localité, telle une ruche, lors du pèlerinage marial qui s’y tient, tous les ans, lors de la Pentecôte. De temps à autre, des notes du Coran s’échappent du haut-parleur de la grande mosquée en chantier, alternant avec le gazouillis des oiseaux. Une impression de sérénité se dégage de Popenguine qui ne manque point d’interpeler les non-résidents. Comme si cette zone est faite pour la méditation, l’adoration, la retraite spirituelle. « Les gens qui viennent ici occasionnellement ne cessent de nous le répéter : ‘’vous ne vous rendez pas compte du calme qu’il y a ici qu’on ne trouve nulle part’’. C’est une belle opportunité que nous avons. Être ici est une grâce. Ma conviction est que les Évangélistes qui sont venus ici ont bien choisi cet endroit. Ils étaient certainement guidés par l’Esprit Saint, car Popenguine est devenu un lieu de prédilection, de ressourcement pour la foi des chrétiens du Sénégal et du monde entier », confie le Père Christian Marie Diamacoune, Curé de la paroisse, Notre Dame de la Délivrande de Popenguine.

Endroit où il fait bon vivre

En effet, la présence de l’église à Popenguine date de 1885 qui coïncide avec l’arrivée des premiers missionnaires. Ils ont d’abord atterri à Guéréo, une petite localité voisine séparée de Popenguine par les falaises du Cap de Naze. Longeant la côte, ils ont découvert Popenguine qui leur rappelait leurs propres origines, selon le Père Christian Marie Diamacoune. « Ils ont donc fait venir la Vierge de chez eux, notre Dame de la délivrande de Louvres, de France. Ce sont ces missionnaires qui ont donc apporté l’évangile ici », ajoute-t-il. Trois ans plus tard, en 1888, le premier pèlerinage marial se tenait.

Mais, à l’époque, Popenguine était loin d’être une terre intacte. C’était déjà habité. Si le Père Diamacoune parle de « population essentiellement musulmane », l’Imam Cheikh Ciss, lui, parle de « majorité d’animistes et d’une minorité de musulmans ». Toujours est-il que les missionnaires réussirent à convertir quelques habitants. D’ailleurs, les noms des premiers baptisés sont gravés sur un tableau à l’intérieur de la belle église qui trône à quelques jets de pierre du sanctuaire marial où se déroule le pèlerinage. Parmi eux, « les parents du Cardinal Hyacinthe Thiandoum », précise le Curé de la paroisse.

Une localité au rythme de conversions et de reconversions

La famille du Cardinal Thiandoum est l’incarnation de ce qu’est devenu, aujourd’hui, Popenguine : le symbole achevé de l’entente islamo-chrétien. Pour en comprendre les ressorts, il ne faut pas aller loin. Il suffit de rester dans le quartier Cuupaam. À partir de l’église, quelques pas suffisent pour atteindre la mosquée Tafsir Khaly Sarr, premier lieu de culte musulman de Popenguine. Elle est contiguë à la maison du père du Cardinal Thiandoum qui s’appelait Fary Thiandoum. L’église, la mosquée et cette maison sont disposées sur le même périmètre en une forme de triangle. « Celui qui a offert l’assiette foncière pour la construction de l’église est le même qui a offert le terrain pour la construction de cette mosquée : il s’appelait Alassane Gaskel. Il était chrétien et s’est reconverti à l’Islam et fut imam dans cette mosquée. Il était en même temps l’oncle du Cardinal Thiandoum », explique Abdou Karim Ndiaye, Surveillant général du lycée de Popenguine. Il ajoute que le grand-frère du Cardinal Hyacinthe Thiandoum, Jacques (Souleymane de son nom de converti), était musulman et sa femme est la grande sœur de l’Imam Ciss. « Moi, par exemple, tous mes oncles sont des chrétiens, j’en ai six ou sept. L’Imam Ciss, c’est la même chose. Ce phénomène de conversion et de reconversion ne nous empêche pas de vivre en parfaite harmonie, rien ne peut remettre en cause notre parenté », soutient Abdou Karim Ndiaye. L’enseignant met cette belle cohabitation sur le compte de « l’intelligence sociale de la notabilité de Popenguine ». Selon lui, les anciens étaient pleins de sagesse et imbus de valeurs d’ouverture et de tolérance. Il aime à rappeler cette déclaration faite un jour aux responsables de la paroisse par le Cardinal Hyacinthe Thiandoum : « il faut toujours privilégier les liens familiaux, de sang, en cas de survenu de conflits, car, quels que soient les problèmes, ici, nous sommes tous des parents ».

Imam Cheikh Ciss dont la grande sœur était l’épouse du grand frère du Cardinal Hyacinthe Thiandoum ne veut pas entendre parler de dialogue entre musulmans et chrétiens à Popenguine, pour la simple et bonne raison que, pour lui, le « dialogue, c’est entre des gens qui voudraient s’entendre et arrondir les angles », ce qui n’est pas le cas à Popenguine, entre les deux communautés religieuses. « Nous sommes d’abord des parents liés par le sang, avec, chacun, sa foi. Ensuite nous partageons la localité. Nos liens de parenté sont plus forts que toute autre considération. Moi-même, certains de mes oncles sont catholiques, ma mère est musulmane. Le même jour, un de mes oncles catholiques est décédé le matin, le soir ma mère est décédée, ironie du sort, ils étaient les meilleurs amis », raconte-t-il.

Le Père Christian Marie Diamacoune embouche la même trompette. Curé de la paroisse depuis 2019, il a pu constater et vivre la dimension de tolérance présente à Popenguine. Et cela se comprend parfaitement, selon lui. « On met en avant plus les liens familiaux, de sang que la foi. Nous ne pouvons pas nous séparer alors que nous sommes de la même lignée. Cette conception a beaucoup facilité la cohabitation à Popenguine. On peut considérer la localité comme le lieu phare du dialogue islamo-chrétien au Sénégal », pense-t-il. Par exemple, ajoute-t-il, pendant le pèlerinage, c’est tout Popenguine qui est concerné par l’accueil. Des musulmans laissent leur maison ou accueillent des gens qu’ils ne connaissent même pas, assure-t-il. L’Imam Ciss fait chorus. « On fait tout ensemble. Pour la construction de la grande mosquée, les chrétiens s’investissent largement. Durant les travaux, impossible de faire la différence entre le musulman et le chrétien. Même chose pour les cimetières. Quand on les construisait, chaque communauté a apporté sa pierre à l’édifice. Pour le débroussaillage, c’est la même chose. Le nettoiement de l’Église aussi idem. Nos anciens ont jeté les bases de ce vivre-ensemble, nous l’entretenons ».

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